Las Cantigas de Santa Marìa sont un recueil exceptionnel de plus de quatre cent chansons dédiées à la Vierge Marie. Elles sont accompagnées d’enluminures inédites qui esquissent la vie musicale dans l’Andalousie médiévale.
Une oeuvre monumentale du XIIIème siècle
Produit de près de trente années de travail, elles voient le jour grâce à Alphonse X Le Sage ou Alfonso El Sabio (1221-1284), roi éclairé et érudit de Castille et Léon qui, tout au long de son règne, fait la part belle aux arts et aux sciences. Dans l’émission de France Musique dédiée aux Cantigas, nous apprenons qu’il “réunit à sa cour des tas de savants : lettristes, miniaturistes, traceurs de portées musicales, copistes des musiques” et qu’il entreprit la compilation des nombreux miracles attribués à la Sainte Marie. Ces chansons louant la Vierge, en langue galaïco-portugaise, et dont l’écriture et la composition sont en partie prêtées au monarque commanditaire, sont des monodies : “elles comportent une seule ligne de chant, des notes sur une portée et, en dessous, le texte qui correspond. Mais aucune indication ne précise qui doit chanter (soliste ou chœur) ni un éventuel accompagnement instrumental. En revanche, de nombreuses enluminures présentent des instrumentistes : on peut donc imaginer toutes sortes d’arrangements. »
Une “bande dessinée” de la vie musicale andalouse
Las Cantigas de Santa Marìa prennent la forme de quatre manuscrits, conservés à Madrid et à Florence. Le plus grand et le plus impressionnant se trouve à la bibliothèque de l’Escurial de Madrid : il comporte 194 chansons illustrées par des miniatures, plus de mille au total, organisées par groupes de six ou douze par page tout au long de l’ouvrage. Ces images attestent de l’effervescence artistique suscitée par la création de ce recueil et de la pluralité des acteurs qui y ont contribué. Parmi les musiciens de la cour, se confondaient chrétiens, juifs et musulmans, originaires d’Europe et du pourtour méditerranéen.
Une fameuse enluminure représente le monarque, au centre lisant (ou dictant) un livre, entouré de part et d’autre de scribes, de chanteurs et de musiciens tenant des instruments à cordes : elle illustre parfaitement la démarche de création des Cantigas et la collaboration artistique qui a contribué à leur naissance.
Ces enluminures témoignent également de la diversité des instruments de musique utilisés à l’époque (luth, rebab, vièle, flûte, cornemuse, cithare, percussions, entre autres), que nous retrouvons pour certains dans la musique arabo-andalouse telle que pratiquée aujourd’hui en Afrique du Nord.
Cheikh Larbi Bensari (Tlemcen, Algérie) et son orchestre au Congrès du Caire en 1932.
De gauche à droit : derbouka, kwitra, mandoline, rebab, kwitra, violon et tar
Dans son ouvrage sur la musique arabo-andalouse, Christian Poché émet même l’hypothèse d’un lien entre la kwitra, qui fait aujourd’hui partie de l’instrumentarium arabo-andalou en Algérie, et une miniature du recueil médiéval (choisie d’ailleurs comme couverture de sa publication). Selon lui, “la kwitra pourrait éventuellement s’identifier à la plus célèbre des enluminures des Cantigas, celle montrant l’alliance d’un Maure et d’un Mozarabe. Mais l’instrument de la miniature frappe par son chevillier rudimentaire et circulaire, formé d’une rondelle de bois. Elle s’expliquerait par la facture récente de l’instrument qui n’aurait pas encore, au moment où il est peint, atteint sa forme définitive.”
Enluminure des Cantigas représentant un Maure et un Mozarabe
Un héritage encore bien vivant aujourd’hui
A l’écoute des Cantigas, l’oreille accoutumée à l’arabo-andalou peut être frappée par un sentiment de familiarité : certes, le tintement du membranophone qui marque le rythme de la chanson, le chœur qui chante en hétérophonie et le son des instruments médiévaux qui s’épousent avec délicatesse ne sont pas étrangers aux interprétations actuelles de la musique savante nord-africaine.
De nombreux projets musicaux revisitent aujourd’hui ce recueil médiéval dédié au culte marial. Citons par exemple les travaux de Jordi Savall, célèbre chef d’orchestre et de chœur espagnol et éminent interprète de la viole de gambe : en 1993, il enregistre 13 Cantigas brillamment exécutées à la Collégiale romane du Château de Cardona en Catalogne. Il en inclut par ailleurs quelques unes à son spectacle Granada Eterna, qu’il crée à la demande du Festival de Música y Danza pour célébrer le millénaire de la fondation du Royaume de Grenade, et qu’il interprète en 2018 à la Philharmonie de Paris pour le plus grand bonheur du public.
Par ailleurs, l’ensemble stéphanois Canticuum Novum, créé en 1996 et encore très actif aujourd’hui, invite à la redécouverte des répertoires de musique ancienne et entreprend de nombreux projets de création et de transmission auprès du jeune public à travers la France, dans une démarche de dialogue et de médiation culturelle. Son dernier album Al-Basma et son spectacle éducatif Hayim, Toledo 1267 rendent hommage aux trois cultures d’Al-Andalus, avec notamment des extraits des Cantigas.
Enfin, une collaboration assez étonnante réunit en 1999 l’Orchestre arabo-andalou de Fès d’Abdelkrim Raïs et Françoise Atlan, chanteuse française, née dans une famille juive algérienne et qui, par son héritage judéo-berbère et sa formation lyrique, excelle dans l’interprétation des musiques traditionnelles. Cet album réalisé sous la direction de Joel Cohen, musicien américain spécialiste des musiques anciennes, revisite de manière assez inédite les Cantigas et y incorpore des éléments de la musique arabo-andalouse marocaine. L’Institut du Monde Arabe de Paris réunit Atlan et l’orchestre marocain en 2022 pour un spectacle composé notamment “d’extraits chantés de noubas arabo-andalouses, de cantigas médiévales, de romances séfarades, de chants judéo espagnols” pour recréer le temps d’un concert “ la splendeur musicale et l’esprit humaniste d’Al-Andalus”.
Las Cantigas de Santa Marìa résonnent comme l’écho d’un passé lointain, quoique finalement si proche puisqu’elles ont su traverser les âges et parvenir intactes jusqu’à nous. Elles inspirent et fascinent de nombreux artistes aujourd’hui, probablement parce que, en plus de leur beauté, elles symbolisent la réussite de la diversité et du dialogue dans la production artistique.
Pour aller plus loin :
Cantigas de Santa Marìa par Jordi Savall, France Musique
Alphonse le Sage, Cantigas de Santa Marìa, France Musique
Enluminures des Cantigas de Santa Marìa, APEMUTAM, Association pour l’étude de la musique et des techniques dans l’art médiéval
Samira Taïbi

Instructif! Merci pour le partage !
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